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Belles plumes

  • physionomie...

    Il y a des mots avec des "h" en trop, des consonnes doublées, des "eau", des "ault", des "ain", des "xc"... C'est ceux que je préfère. Ça leur donne une physionomie spéciale, un air précieux, un peu maladif, comme "thé", ou au contraire pétant de gros muscles, comme "apporter", "recommander", ou qui fait grincer des dents, comme "exception"...

    Il y a des mots à chapeaux à plumes, des mots à falbalas, des mots à béquilles et à dentiers, des mots ruisselants de bijoux, des mots pleins de rocailles et de trucs piquants, des mots à parapluie...

    Quand on me parle, mais surtout quand je parle, je les vois passer un à un à toute vibure, s'accorder se conjuguer s'essayer un "s" au pluriel, le rejeter en pouffant parce que ça va pas du tout, grotesque et laid, vite s'accrocher l'"x" qui va comme un gant, ah ! c'est bon, salut, ça défile.

    François Cavanna, extrait de "Les ritals"

  • Théâtre - Pagnol

     

      " Pour moi, c'est curieux, j'ai toujours eu un penchant naturel à corriger des devoirs... Au point que je me suis parfois surpris à rectifier l'orthographe des affiches dans les tramways, ou sur les prospectus que des gens vous tendent dans la rue ..."

    (d'après) Marcel Pagnol,
    extrait de Topaze, pièce en quatre actes

  • de l'écriture, de la poésie

    [...] j'ai connu depuis un assez grand nombre de messieurs et de dames qui, bien après leur puberté, écrivent avec passion des odes, des sonnets, et même des poèmes épiques. Leur émotion est sincère, et leur lyrisme est spontané; ils ont de belles âmes de poètes. Quand ils nous lisent leur ouvrage, ils ne peuvent s'empêcher de verser des larmes, car ils y retrouvent l'émotion qui les inspira, et qu'ils ont cru mettre dans les mots.
    Celui-ci parle de Françoise, et ces deux syllabes et demie contiennent le premier amour de jeunesse; il dit "sauterelle", et il entend la petite musique lointaine du premier soir des vacances; il prononce avec ferveur "prière du soir", et il revoit la petite église de campagne, mal éclairée, par un soir d'hiver, où il s'agenouillait auprès d'une mère chérie.
    Mais l'auditeur ne connaît pas les clefs de ces mots : et bien souvent, il en a d'autres. Il n'est jamais allé à la prière du soir; [...] et Françoise, c'est précisément le nom d'une cuisinière bigle, qui se vanta d'avoir tous les jours craché dans le potage lorsqu'elle fut enfin renvoyée.

    C'est pourquoi l'auditeur stupéfait n'entend qu'une ronronnante litanie de mots, et que l'émotion du lecteur lui paraît lamentablement inexplicable.

    Marcel Pagnol, "Le temps des amours"

  • Méthode de travail d'Alphonse Daudet

         "D'après nature !
         Je n'eus jamais d'autre méthode de travail. Comme les peintres conservent avec soin des albums de croquis où des silhouettes, des attitudes, un raccourci, un mouvement de bras ont été notés sur le vif, je collectionne depuis trente ans une multitude de petits cahiers sur lesquels les remarques, les pensées n'ont parfois qu'une ligne serrée, de quoi se rappeler un geste, une intonation, déceloppés, agrandis plus tard pour l'harmonie de l'oeuvre importante. À Paris, en voyage, à la campagne, ces carnets se sont noircis sans y penser, sans penser même au travail futur qui s'amassait là; des noms propres s'y rencontrent que  quelquefois je n'ai pu changer, trouvant aux noms une physionomie, l'empreinte ressemblante des gens qui les portent."

    Alphonse Daudet,
    Trente ans de Paris. Histoire de Fromont jeune et Rister aîné.

  • Le magicien

    Il était une autre fois un monsieur très savant qu'on appelait le magicien. Il possédait un don étrange: quand il parlait, les mots vivaient, on les voyait apparaître, ils se mettaient à voler, à bouger, ils avaient une couleur, une forme, une odeur.

    On pouvait les voir, les entendre, les goûter, les palper.
    On pouvait les mettre dans la bouche et ils fondaient sur votre langue, on pouvait même les avaler et ceux qui les avalaient recevaient ce don étrange. Ils se sentaient forts et riches et ils devenaient capables de parler et quand ils parlaient, les mots reprenaient vie et les choses s'animaient.

    Cette belle histoire, Pierre la trouva dans un livre. Il la lut et la relut et voulut vérifier si elle était vraie.
    Il interrogea son papa qui lui dit:
    - "Essaie et tu verras. Choisis un mot, ferme les yeux, regarde-le et tu auras peut-être le pouvoir du magicien."

    Il choisit "jardin".

    Pierre ferma les yeux, et il vit un jardin et le jardin se mit à vivre, les arbres avaient des feuilles, les fleurs sentaient bon, les allées étaient couvertes de mousse, il se coucha dans l'herbe et s'endormit.

    Un peu plus tard il ouvrit les yeux. Son jardin était toujours en lui, il le dessina, les mots guidaient ses doigts, il était heureux, il se sentait fort.

    Il alla montrer son dessin à son papa qui lui sourit.
    Pierre sourit aussi.

    Il avait compris le pouvoir des mots.
    Il était magicien
    Les mots en lui devenaient vie.
    Par lui la vie devenait mots.

    Françoise Dejong-Estienne, extrait de "La part des contes"

  • Ecrire...par Colette

    [...]Or, si je suis immobile ce soir, je ne suis pas sans dessein, puisqu'en moi bouge [...] un sévice bien moins familier que la douleur, une insurrection qu'au cours de ma longue vie j'ai plusieurs fois niée, puis déjouée, finalement acceptée, car écrire ne conduit qu'à écrire. Avec humilité, je vais écrire encore. Il n'y a pas d'autre sort pour moi. Mais quand s'arrête-t-on d'écrire? Quel est l'avertissement? Un trébuchement de la main? J'ai cru autrefois qu'il en était de la tâche écrite comme des autres besognes ; déposé l'outil, on s'écrie avec joie: "Fini !" et on tape dans ses mains, d'où pleuvent les grains d'un sable qu'on a cru précieux...C'est alors que dans les figures qu'écrivent les grains de sable on lit les mots: "A suivre..."

    Colette, extrait de: "Le fanal bleu"