de l'écriture, de la poésie

[...] j'ai connu depuis un assez grand nombre de messieurs et de dames qui, bien après leur puberté, écrivent avec passion des odes, des sonnets, et même des poèmes épiques. Leur émotion est sincère, et leur lyrisme est spontané; ils ont de belles âmes de poètes. Quand ils nous lisent leur ouvrage, ils ne peuvent s'empêcher de verser des larmes, car ils y retrouvent l'émotion qui les inspira, et qu'ils ont cru mettre dans les mots.
Celui-ci parle de Françoise, et ces deux syllabes et demie contiennent le premier amour de jeunesse; il dit "sauterelle", et il entend la petite musique lointaine du premier soir des vacances; il prononce avec ferveur "prière du soir", et il revoit la petite église de campagne, mal éclairée, par un soir d'hiver, où il s'agenouillait auprès d'une mère chérie.
Mais l'auditeur ne connaît pas les clefs de ces mots : et bien souvent, il en a d'autres. Il n'est jamais allé à la prière du soir; [...] et Françoise, c'est précisément le nom d'une cuisinière bigle, qui se vanta d'avoir tous les jours craché dans le potage lorsqu'elle fut enfin renvoyée.

C'est pourquoi l'auditeur stupéfait n'entend qu'une ronronnante litanie de mots, et que l'émotion du lecteur lui paraît lamentablement inexplicable.

Marcel Pagnol, "Le temps des amours"

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